Résumé des interventions

Mesurer la résilience macroéconomique des départements d’outre-mer à travers l’indicateur de développement humain soutenable

Stéphane BLANCARD (Docteur, CESAER, AgroSup Dijon) etJean-François HOARAU (CEMOI, Université de La Réunion)

La résilience macroéconomique se définit comme la capacité d’une économie à absorber un choc négatif ou à récupérer rapidement à la suite de ce choc sans que celle-ci ne subisse de dégâts majeurs. D’un point de vue empirique, la résilience s’appréhende globalement de deux façons différentes. Elle peut s’envisager d’abord comme un phénomène ex ante, en mettant l’accent sur les facteurs déterminant la construction d’une capacité de résilience pour une économie (Briguglio, 2006 ; Goavec, 20156a). Elle peut ensuite se concevoir d’une manière ex post, c’est-à-dire en termes de réalisation à partir d’indicateurs de performance adaptés (Blancard et Hoarau, 2012 ; Goavec, 2016b). Dans cet article, nous nous inscrivons dans la logique ex post. Nous choisissons de suivre la méthodologie développée par Blancard et Hoarau (2012) afin de construire un Indicateur de Développement Humain Soutenable (IDHS) pour les Petites Economies Insulaires (PEI) mais, contrairement à ces derniers, en incorporant un ensemble de PEI dites affiliées et donc non indépendantes, à savoir les Départements d’Outre-mer (DOM) français. En effet, les PEI étant par nature structurellement vulnérables (Briguglio, 1995 ; Hoarau et Blancard, 2015), et par conséquent fortement impactées par une série de chocs exogènes adverses, de bons résultats en termes d’IDHS donneraient un certain éclairage sur la capacité de résilience de ces territoires si particuliers. Au final, l’indicateur composite que nous obtenons, construit comme l’agrégation de quatre dimensions (santé, éducation, niveau de vie soutenable et soutenabilité environnementale) à travers l’application de la méthode Data Envelopment Analysis (DEA), fait apparaître de bonnes performances globales pour les DOM français, nous permettant de conclure quant à l’existence d’une capacité de résilience certaine pour ces derniers.

Pratique du documentaire à La Réunion : paroles de l'auteur-réalisateur William Cally

William CALLY (Auteur-Réalisateur, contact@kapalistudios.com)

Parcours et retour « sur expérience » de l'auteur-réalisateur réunionnais William Cally, à qui l'on doit notamment Elie ou les forges de la Liberté (2011), Une enfance en exil (2013), Madame Desbassayns (2015). Il s'agira d'une approche personnelle présentant les aspects de sa filmographie récente (depuis 2010), un bref panorama de la création documentaire sur l'île de La Réunion et les potentialités en Audiovisuel ou en Cinéma de ce qu'il nomme la « Matière créole ».

Transmissions linguistiques et culturelles dans les devinettes et proverbes créoles de La Réunion

Sandra DOMEN (Doctorante LCF, Professeur de français à Mayotte)

Nos travaux de recherche se consacrent à l’étude de la langue parémiale du créole réunionnais. Nous proposons d’analyser deux formes de la tradition orale que sont les proverbes et les devinettes sous l’angle linguistique. La langue parémiale est une langue complexe et nous tentons justement de mettre en exergue les différents niveaux de complexité de ces formes brèves dans notre analyse.

À travers l’étude de la dynamique linguistique et culturelle de ces formes sur une période délimitée (1921-2015), nous observons le fonctionnement de la langue créole en synchronie dynamique. Que nous révèle le fonctionnement linguistique des formes parémiales sur le fonctionnement linguistique de la langue créole ? Que nous transmettent les devinettes et les proverbes créoles ? S’il est vrai que ces formes de l’oralité transmettent des valeurs morales, véhiculent une vision du monde et mettent en évidence des aspects historiques, sociologiques et culturels de l’océan Indien, il est aussi évident que ces formes, en réalité des corpus complexes (Staudacher-Valliamée, 2010), donnent à voir un ensemble de structures communes. L’étude de la prédication pour sa part révèle une quasi-stabilité de la langue sur une période historique déterminée.

Il est aussi primordial de souligner la dynamique culturelle de ces formes et le travail de conservation et de transmission qui s’opèrent à travers la littérature (recueils, dictionnaires, encyclopédies), les espaces publics (les contes créoles qui sont propices aux devinettes), les médias (la presse, la publicité).

Pour une Histoire des transmissions dans les anciennes colonies françaises

Prosper EVE (CRESOI – Université de La Réunion)

Une des caractéristiques d’une civilisation est de travailler pour créer et de transmettre le fruit de son travail et de ses réflexions aux générations suivantes pour qu’elles puissent avancer et dépasser le niveau acquis. L’observation de ces phénomènes permet de déduire une évolution positive de la société étudiée. Le Petit Robert définit le savoir comme étant l’ensemble des connaissances plus ou moins systématisées, acquises par une activité mentale suivie. Cet exposé vise à cerner la transmission des savoirs dans la colonie bourbonnaise à l’époque de l’esclavage de la base au sommet, ou encore de la cave au grenier, c’est-à-dire aussi bien au sein du monde des gens libres qu’ils soient libres ou affranchis, qu’au sein du monde des esclaves. Comme les séquences économiques se succèdent pendant cette période, les savoirs se multiplient dans le domaine du travail productif dans les champs et dans les industries sucrières et séricicoles. L’île est sommée au début des années 1710 de devenir une colonie de rapport en produisant par obligation du café puis des épices pour les besoins de la métropole. Puis elle se décide au début des années 1810 à se lancer dans la production industrielle du sucre. Peu après, l’esclave Edmond donnera à sa place une impulsion à l’exploitation de la vanille. Jusqu’ici, elle utilisait la canne pour fabriquer de l’alcool. Comme les savoirs sont diffusés également hors du travail, dans les foyers, cet exposé ne pourra faire l’économie de la transmission des savoirs au niveau familial.

La transmission linguistique du/dans le système spatial du créole réunionnais

Adriana FOLGOAT (Docteure, LCF Université de La Réunion)

Depuis de nombreuses années, les études consacrées au langage humain ont pris en compte la problématique de la spatialité (E. Cassirer, 1923, L. Tesnière : 1965 ; B. Pottier : 1992 ; L. Talmy : 2008). Pour le créole réunionnais, nous avons mené, dans le cadre d’une recherche doctorale, une étude linguistique des relations spatiales (A. Folgoat, 2016). Trois types de corpus ont été collectés sur le terrain, auprès de 24 informateurs créolophones appartenant à trois tranches d’âge différents (5/15 ans, 18/40 ans, 58/74 ans). L’objet de notre communication consistera à  montrer deux points saillants du système spatial : la relation spatiale de mouvement portée par un ensemble de verbes. L’autre aspect important apparaît avec l’ancrage dans la dimension référentielle de la langue (toponymes, histoire, géographie des lieux). Les données socioprofessionnelles de l’enquête ainsi que les résultats de l’analyse linguistique indiquent une transmission inter-générationnelle   du système spatial de ce créole.

 

Le créole comme marqueur du tourisme à La Réunion ?

Guy FONTAINE (Vice-président du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement — Professeur Emérite en Géographie, Université de La Réunion)

Pendant que le tourisme « révolution durable » est vécu comme un « mouvement qui n’a pas fini de produire des effets (Equipe MIT, p. 14), La Réunion semble toujours à la recherche de son « ADN » pour la promotion de son tourisme.

Après les slogans « l'Ile intense », « Une île, un monde », « un Voyage d’émotions », « Vivre une expérience » pourrait devenir la déclinaison de la destination Réunion.

Cela impliquerait que le « vivre ensemble », le patrimoine tant naturel que matériel et immatériel soient les moteurs du « voyage ». Quelle peut (doit ?) être alors la place de la langue créole dans ce « vivre une expérience » : simple présence visuelle dans la signalétique ou véritable marqueur ? La communication vise à ouvrir le dialogue nécessaire pour tenter d'y apporter, si possible, une réponse.

De l’historicité des images pour transmettre des traces de la culture créole : L’Iconothèque historique de l’océan Indien

David GAGNEUR (Docteur — Direction de la Culture et du sport, Département de La Réunion)

A l’heure où les mutations technologiques du tournant numérique atténuent les différences entre les textes, les images et les sons – désormais des informations immatérielles – la recherche sur les sociétés créoles dispose de flux de données plus facilement accessibles.

Ainsi, l’image numérisée, copie d’un objet antérieur, est-elle éligible au processus de patrimonialisation ? L’approche heuristique – historique – des traces de la culture créole dans la base de données de l’Iconothèque historique de l’océan Indien se révèle complexe, lacunaire, voire réductrice. La collecte d’images est tributaire de ce que chaque époque, chaque strate de la société a produit, conservé, transmis… Le tout le plus souvent entrevu à travers un prisme.

La transmission à travers l’éducation du corps et des rituels à La Réunion

Yolande GOVINDAMA (Directrice du laboratoire PSY-NCA EA 47 0, Université de Rouen)

Selon M. Mauss (1936) la technique de corps « est la façon dont les Hommes, société, par société, savent, d’une manière traditionnelle, se servir de leur corps » et « il n’y a pas de transmission sans tradition ». En effet, si le corps humain est universel au niveau de sa constitution biologique, sa représentation impliquant des gestes symboliques et les idées que les adultes se font de son développement et de la santé de l’enfant impliquant des gestes fonctionnels, diffèrent d’une culture à une autre, et deviennent « un langage non verbal » dans les techniques de soins, les rituels de protection et les rites de passage. Cette conférence mettra en évidence que cette conception du corps et de l’âme (ou psyché) assure une interdépendance psyché-soma afin de préserver la santé mentale et les tabous fondamentaux de l’humanité. Cette interdépendance a été prise en compte par la psychanalyse à travers la somatisation dans l’hystérie par Freud, et le stade du miroir par Lacan. Des exemples tirés des recherches menées à La Réunion à travers les pratiques de soins, les rites, les troubles du sommeil du jeune enfant, illustreront notre propos.

Les langues de l’interprète et la transmission du Mahâbharata à La Réunion

Sully Santa GOVINDIN (Docteur, chercheur associé, LCF – Université de La Réunion)

Cette communication interroge les modalités d’une transmission du système langagier des descendants d'engagés indiens dans la société réunionnaise.

L'outil conceptuel du corpus complexe autorise le décryptage des données du terrain d'enquête et explicite les démarches de transmission. Trois situations ancrées dans l'espace domestique (langue tamoule normative et le récit héroïque), l'espace associatif (langue artistique du répertoire théâtral) et l'espace sacré (langue du ballet épique) sont présentées. Nos résultats montrent les stratégies de maintien et de réappropriation adoptées par les acteurs d'une transmission tant structurée qu'informelle avec les langues d'apprentissage en milieu créolophone.

 

Apprentissage et construction du langage oral en classe de grande section à l'école maternelle réunionnaise

Jasmine LATCHIMY DIJOUX (Professeur certifié de Lettres, doctorante LCF, Université de La Réunion – Institut de l'illettrisme)

Dans le cadre de la prévention de l'échec scolaire, perçu comme la principale source d'alimentation du fléau de l'illettrisme, nous nous interrogeons sur la langue des élèves réunionnais, leur construction du langage oral en situation d'appren­tissage de la langue française. Nous cherchons ainsi à cerner les préalables langa­giers indispensables à l'entrée dans l'écrit en contexte linguistique réunionnais.

Sur le terrain de l'école, la rencontre entre la langue de la famille (le créole) et la langue de scolarisation (le français) pose la question de la transmission et de ce fait celle de l'appropriation. Dans cette perspective, l'analyse des productions orales collectées donne les premiers éléments du phénomène de re-construction en œuvre dans l'apprentissage d'une langue seconde chez de très jeunes élèves. Ces résultats fournissent le socle d'une didactique de l'oral propre au milieu créolo-francophone.

Notre étude s'appuie sur la mise en œuvre d'un dispositif intitulé Dire, lire, calculer en grande section créolophone à l'école maternelle à La Réunion : logiques, spatialité et numération (2012-2014). Ce dernier concernait 14 classes réparties sur 4 cironscriptions rassemblant des élèves présentant des fragilités langagières. Une première collecte de données est issue du test diagnostique 1, (TD1), de pré-lecture d'images illustratives. L'activité proposée est la dénomination d'entités et d'actions présentée à partir de documents visuels fixes.

Le point de vue théorique adopté privilégie une approche fonctionnelle. C'est à partir de la fonction de représentation rebaptisée référentielle par R. Jakobson que nous cherchons à décrire la langue des élèves inscrite dans une vision dynamique de situation de contact linguistique en pré-lecture de l'image. Ainsi, nous nous tournons vers des champs peu investigués d’une manière générale et non encore réalisés sur le terrain réunionnais à notre connaissance.

Nos conclusions tendent vers des retombées en didactique de l'oral dès la formation en langage. Elles font émerger « des points névralgiques » à circonscrire car susceptibles d'impacter les préalables langagiers à l'entrée dans l'écrit et de ce fait la lecture-compréhension au cœur des apprentissages.

Transmissions de la tradition orale créole dans les spectacles d’humoriste à La Réunion

Francky LAURET (Professeur certifié en LVR Créole, Doctorant LCF)

L’axe principal de la communication est celui de la dynamique des transmissions linguistiques et culturelles. L’hypothèse de départ pose l’humoriste comme un vecteur de transmission de la langue créole réunionnaise  mais aussi de la culture, des us et coutumes de la vie quotidienne à La Réunion en milieu créole.

Pour étudier l’humour créole réunionnais, nous avons dégagé un corpus complexe basé sur les enregistrements, audio ou audiovisuels, de spectacle d’humour joué à La Réunion. Cette communication présentera les résultats d’une investigation menée dans les spectacles de Daniel Vabois (1979 et 1990), et Marie Alice Sinaman (2001).

La démonstration vise à exemplifier la reprise par les humoristes des éléments de la tradition orale pour les mettre en circulation au sein de la société. Ces éléments s’appuient ainsi sur un fonds commun minimal de connaissances linguistiques, historiques, géographiques et sociales, permettant le rire ensemble.

La question s’ouvre sur la possibilité de reconnaître différentes gestes orales du réunionnais telles que « moukataz, kouyonis, foutan », comme bases du travail de l’humoriste créole, celui-ci participant à l’institutionnalisation populaire de ces pratiques de communications orales en la personnifiant.

Analyse sociolinguistique de productions langagières de petits Réunionnais de 2 à 4 ans

Mylène LEBON-EYQUIEM (LCF - Université de La Réunion)

Dans le cadre de la thématique de la transmission linguistique, nous nous proposons de rendre compte des compétences linguistiques acquises par l'enfant avant ou lors de son entrée en maternelle et de certains des mécanismes à l’œuvre dans l’acquisition du langage. En effet, des observations montrent que les Réunionnais ne s’expriment pas uniquement en français ou en créole mais plutôt dans une très large gamme de variations qui comprend bon nombre de formes intermédiaires. Les spécificités des paroles de locuteurs réunionnais s’apparentent à celles des formes interlectales mises en évidence et décrites par Lambert Félix Prudent sur le terrain martiniquais (Prudent, 1993).Il existe une réflexion approfondie sur l’existence possible de normes développementales endogènes (Georger, 2011 ; Lebon-Eyquem, 2010a et b, 2013 ; Prudent, 2005 ; Wharton, 2006). Pour tenter de déterminer les spécificités linguistiques des énoncés enfantins à La Réunion, nous nous sommes centrée sur les caractéristiques syntaxiques de discours d’une centaine d’enfants réunionnais âgés de 2 à 4 ans. Pour ce faire, avec l’aide d’enseignants de maternelle, nous avons mené une étude longitudinale dans les différentes régions de l’île (Saint-Benoit, Saint-André, Saint-Denis, le Port, Saint-Pierre et le Tampon) : durant 36 mois, les jeunes témoins ont été enregistrés, à intervalles réguliers tous les 2 mois, lors d’échanges dans le milieu scolaire et familial. Ces productions ont été en majorité retranscrites et analysées par une équipe multi-catégorielle composée d’enseignants de maternelle, de conseillers pédagogiques, de formateurs de formateurs, d’orthophonistes et de linguistes. Une comparaison a été établie avec les normes développementales de Philippe Boisseau (2005) (constituant une référence pour l’institution scolaire) et en particulier celles relatives à l’emploi des prépositions, des pronoms, des modes et temps verbaux et de la subordination.

Les résultats mettent en évidence la présence de productions relevant d’une acquisition langagière en cours, mêlant souvent français et créole, validant ainsi l’hypothèse interlectale de Lambert Félix Prudent (1993).

Le travail du transmettre dans et de la littérature en langue créole réunionnaise

Carpanin MARIMOUTOU (LCF EA 4549, Université de La Réunion)

Le corpus de la littérature réunionnaise en langue créole est complexe et hétérogène. En font partie, en effet, non seulement les textes romanesques, poétiques et théâtraux, mais aussi les textes parus dans la presse, les chansons populaires (essentiellement maloya et séga), les contes, les zedmo et les proverbes. Si le corpus écrit peut être datable et trouve son origine – jusqu’à plus ample information – dans les fables créoles de Louis Héry (1828), le corpus populaire oral est beaucoup moins situable dans l’épaisseur de l’histoire et la variation géographique.

Quels que soient cependant la matérialité, le support et l’aspect du corpus, l’un des points communs de cette littérature est sa relation à la question du transmettre, à la fois dans ce qui est dit, dans les modalités du dire et à travers les formes de production/communication.

Cette communication interrogera donc, sur un corpus hétérogène, les diverses modalités et formes selon lesquelles la littérature réunionnaise en langue créole inscrit la pratique du transmettre au cœur même de son travail d’écriture ou de dire.

Ethnopharmacologie et linguistique ; les noms vernaculaires des plantes aromatiques et médicinales de l’Ile de La Réunion, leurs sens et leur pertinence aujourd’hui

Claude MARODON (Docteur en pharmacie, Président de l’APLAMEDOM Réunion)

Aborder l’ethnopharmacologie sous l’angle de la linguistique créole de l’île de La Réunion est une démarche primordiale. On peut définir l’ethnopharmacologie comme la validation scientifique des allégations attribuées aux plantes médicinales traditionnellement utilisées dans une région donnée, à un moment donné. Lors des enquêtes, nous allons aborder la précision et l’importance de retranscrire dans la langue d’origine, les moyens de transmissions intergénérationnels et le contexte dans lequel ils s’expriment, les noms vernaculaires des remèdes (zerbaz), les allégations qui leur sont attribuées (fiev, tension…), les méthodes de préparation (infiger, fé bouillir…) et les précautions d’usage. Ces données constituent une base de travail d’une grande richesse pour aborder la botanique (les « bois », les « faux », « lingue à –», « marron »…), le mode de préparation (infiger, passer…) ou l’analyse de la composition physico-chimique de la plante (amer, doux…), la pharmacognosie (doulèr…). La situation de l’île par son isolement, son éloignement, sa composition métissée, et son contexte sanitaire passé et présent (autrefois paludisme, parasitoses, infections… et récent comme l’épidémie de chikungunya , dengue…) fait un espace d’observations et de collectes de données exceptionnel. Il n’est pas rare qu’une drogue végétale comporte plusieurs noms selon les régions (histoire, ethnies, descriptions…) et  que ces noms varient dans le cours de l’histoire, avec à chaque période, un sens pour la reconnaissance et son usage. Nous allons aborder par quelques exemples ce que signifient certains noms et propriétés de plantes aromatiques et médicinales, utilisées à l’île de La Réunion.

L’acquisition de la langue maternelle (enfants de 4 à 10 ans) se réalise-t-elle vraiment de façon universelle ?

Claire MARTINOT (Professeur de linguistique, Université Paris-Sorbonne, ESPEEA 4509 Sens Textes Informatique Histoire)

La langue maternelle est certes transmise à l’enfant à partir des énoncés qui sont produits dans son environnement immédiat mais l’enfant joue un rôle actif dans ce « passage » dans la mesure où il reproduit très rarement à l’identique ce qu’il a entendu. L’enfant n’acquiert donc pas sa langue maternelle en répétant mais en déconstruisant, reformatant les énoncés sources sur lesquels il s’appuie pour parler, c’est-à-dire produire des prédications. Nous désignons ce principe dynamique par le concept de Reformulation que nous définissons comme suit :

Tout processus de reprise d’un énoncé antérieur qui maintient, dans l’énoncé reformulé, une partie invariante à laquelle s’articule le reste de l’énoncé, partie variante par rapport à l’énoncé source, est une reformulation (Martinot, 1994).

Nous présenterons les différentes procédures de reformulation que nous avons répertoriées et montrerons que les enfants n’utilisent pas les mêmes selon leur âge. Nous montrerons également que, dans la même tranche d’âge, la reformulation des phénomènes linguistiquement complexes (au niveau syntaxique, lexical et sémantique) diffère sensiblement d’un enfant à l’autre. Ce constat nous amène à nous interroger sur la cause de ces disparités et sur le rôle que l’institution scolaire peut jouer pour compenser le déficit langagier de certains enfants.

Qu’est-ce qu’une discipline culturelle au regard des droits culturels ?

Patrice MEYER BISCH (Université de Fribourg, Observatoire de la diversité et des droits culturels www.droitsculturels.org, Chaire UNESCO pour les droits de l'homme et la démocratie www.unifr.ch/iiedh)

La liberté culturelle vise à élargir des choix individuels, et non à préserver des valeurs et des pratiques en tant que fin en soi en faisant allégeance aveugle à la tradition.
PNUD, La liberté culturelle dans un monde diversifié, 2004, p. 4

Classiquement, au sein de l’ensemble des droits de l'homme, même si cela n’a pas toujours été clair, les droits culturels désignent le droit à l’éducation et le droit de participer à la vie culturelle.  Il s’agit en effet de partager une « vie culturelle » comprise comme un ensemble d’activités liées à autant de ressources culturelles, et non de transmettre simplement un donné. Ils contiennent en réalité un « panier de droits » fondamentaux, dont le droit à la langue, et pourtant ils ont été très négligés. Leur importance apparaît enfin sur le devant de la scène internationale en lien avec les questions de violences, de développement et enfin de démocratie.

Entre les libertés « formelles » par lesquelles on a caractérisé longtemps les droits civils et les libertés « réelles » qui désignaient les droits sociaux, les droits culturels permettent de définir les libertés « instruites » de leurs compétences et de leurs responsabilités.

Les droits culturels désignent les droits et libertés pour une personne, seule ou en commun, de choisir et d’exprimer son identité et d’accéder aux références culturelles comme à autant de ressources qui sont nécessaires à son processus d’identification, de communication et de création. Ce sont les droits qui autorisent chaque personne, seule ou en commun, à développer ses capacités d’identification, de communication et de création. Ils constituent les capacités de lier le sujet à ses « œuvres » (savoirs portés par des personnes, des choses et des institutions) et aux milieux dans lesquels il évolue.

Dans cette contribution, je m’efforcerai d’argumenter sur les liens entre disciplines culturelles et paix, notamment à partir de l’hospitalité par les langues.

Sociolinguistique des transmissions en Caraïbe créole

Lambert Félix PRUDENT (CRREF / ESPE de Guadeloupe, Université des Antilles)

La créolistique caraïbe est interpellée de multiples manières par la transmission. D’abord, au sens génétique du mot, car les créoles antillais sont bel et bien nés d’une rupture de transmission. C’est précisément parce que de jeunes locuteurs, européens et africains, se sont retrouvés dans une situation où leurs parents ne leur transmettaient plus naturellement leurs langues originelles qu’ils ont du inventer un système linguistique qui n’était plus, ni du français ni une langue africaine. La deuxième saillie de la transmission est consubstantielle de l’apparition d’une réflexion sur les créoles : par l’attention portée au folklore, la focalisation sur ce que l’on appellera la tradition orale. Dès le 19e siècle, la sagacité des observateurs est activée par ces vieux nègres qui racontent la nuit des histoires merveilleuses, ponctuées des rituels krik krak. Après l’abbé Grégoire qui crie au génie nègre, c’est Schoelcher l’abolitionniste qui reste médusé devant le corpus de proverbes et de chansons créoles qu’il rassemble. C’est Lafcadio Hearn qui fait des best-sellers de ses récits. Et c’est le recueil écrit de ces trésors oraux, ce noyau langagier transcrit qui servira de base aux recherches scientifiques ultérieures. Paradoxale trans­mission ! Un autre aspect de la transmission s’impose dans la saisie contemporaine du créole en relation avec la langue et la culture dominantes. C’est la fameuse question de la diglossie et de la  décréolisation. Pourquoi la communauté ressent-elle chaque jour inégalement l’effet d’une perte de substance ? Pourquoi la phonétique, le lexique et la syntaxe font-ils l’objet de cette intrusion ? Pourquoi le créole ne se transmet-il pas de manière harmonieuse, comme l’espagnol chez les Cubains ou l’anglais chez les Barbadiens ? Et pourquoi cette langue dénaturée devient-elle un enjeu d’identité et d’authenticité aussi fort et une source de conflit aussi puissante ?Une quatrième facette de la transmission peut être interrogée chez la population migrante. Il y a aujourd’hui un tiers de la population antillaise qui vit en France hexagonale. Se pose alors la question de la transmission et du maintien de la culture et de la langue comme outils d’ancrage culturel ou de résistance à l’évolution dans un monde « métropolitain ». Pour boucler notre sociolinguistique des transmissions, nous aborderons le créoliste et son destin. Un constat s’impose : celui d’une curieuse progression de la profession en ignorant l’histoire locale de la discipline. Presque personne pour s’intéresser aux biographies des Elodie Jourdain, Rémi Nainsouta, Serge Denis, Auguste Bazerque ou de l’Abbé David ! Que nous a t-il manqué pour délaisser la vie et l’œuvre de ces aînés et rater ainsi la rentabilisation de l’étape préalable ?

De l'intérêt de la végétation de l'île pour une énergie renouvelable

René ROBERT (Professeur en Géographie)

L’on se propose ici  de partir du patrimoine naturel pour faire remarquer deux choses :

  1. toute vie qui s'est installée d'une manière ou d'une autre dans l'île est forcément exotique. Par spéciation, certaines plantes et certains animaux se sont transformés pour devenir des endémiques (c'est une partie de notre patrimoine naturel actuel) ;

  2. Actuellement certains exotiques d'arrivée récente (le plus souvent grâce aux hommes, p. ex. les filaos) font reculer les aires des endémiques et l'UNESCO recommande de lutter contre elles. C'est dans cette définition que nous pensons à cette biomasse exotique pour en tirer de l'énergie.

La biomasse végétale utile résulte de la collecte des espèces exotiques envahissantes (EEE). Les espèces endémiques sont protégées par l’état et par des collectivités internationales (ex. UNESCO à l’origine des Biens du Patrimoine Mondial).

La collecte se fait partiellement et fournit des déchets végétaux de toutes sortes (du gazon coupé aux arbres taillés la veille des cyclones tropicaux). Il reste des volumes considérables qui restent à valoriser (tels ceux des goyaviers et autres filaos, in situ p. ex.).

Il convient d’abord de récupérer sur des plateformes adaptées tous ces déchets végétaux et de les réduire par déchiquetage (herbes) ou broyage (troncs d’arbres).

Ensuite des techniques récentes permettent de les transformer en petits cylindres, nommés pellets, à faible teneur en eau. On se trouve face à des produits susceptibles d’être utilisés de différentes façons. L’important serait de diminuer la dépendance de l’île aux importations de produits fossiles comme les hydrocarbures du Moyen Orient ou le charbon d’Afrique du Sud.

Cette évolution vers une moindre dépendance énergétique vis-à-vis des importations est en cours et la biomasse végétale devrait y apporter une contribution intéressante.

Dans le cadre de la présentation du sujet, je vais parler des écrits de Thérésien CADET, de Vincent BOULLET, d'autres encore, en me réservant une petite place pour les deux ouvrages « Regards sur le patrimoine naturel de La Réunion »

Transmissions et construction des langues : le créole réunionnais dans l’océan Indien

Gillette STAUDACHER-VALLIAMEE (Département créole, LCF EA 4549, Université de La Réunion)

Cette contribution poursuit l'examen de la transmission linguistique en créole réunionnais et prend appui sur le point de vue théorique de la construction des langues (C. Hagège, 1992, G. Staudacher-Valliamee, 2007). Si dans les deux processus fondamentaux – la lexicalisation et la grammaticalisation – les transmissions peuvent être posées comme achevées dans l'espace et le temps de la pidginisation et de la créolisation des langues à Bourbon (P.A. Caulier, 1764), le fonds commun en usage dans le créole contemporain et actuel éclaire utilement l'étude dynamique du lien entre structure et changement. Notre analyse linguistique repose sur deux types de fonctionnement retenus sur le critère de leur stabilité dans le temps et de leur fréquence dans le discours : le premier convoque les unités verbo-nominales ou verbants (G. Staudacher-Valliamee, 2004, 2011). Le deuxième, plus technique et exposé à la modernisation, concerne l'expression de la mesure et de la quantité, le vocabulaire et les gestes professionnels dans l’exploitation de la canne à sucre. Ils traduisent à la fois les interventions scientifiques  sur les produits de la terre et les formes grammaticales et lexicales que la langue construit pour y répondre. Ces activités  invitent à regarder de plus près la nature et le rôle de nouveaux vecteurs sociaux, environnementaux par lesquels opèrent ces transmissions linguistiques en cours. Nous nous demanderons s'ils sont identiques à ceux identifiés comme pertinents dans l'histoire des langues en général et des créoles en particulier (R. Chaudenson, 1974, W. Labov, 1997, G. Staudacher-Valliamee, 2001).

L’œuvre du mouvement documentaire britannique en Inde et au Sri Lanka (1945-1960) : transcription, apprentissage et transmission culturelle

Vilasnee TAMPOE-HAUTIN (MCF-HDR DIRE, Université de La Réunion)

Cette communication abordera la question du succès inattendu du genre documentaire dans les (ex)-colonies britanniques, en l'occurrence l'Inde et le Sri Lanka. A travers l’œuvre de documentaristes italiens et britanniques, on exposera la manière dont un art et une industrie issus du monde occidental – le cinéma documentaire – a permis aux autochtones de ces espaces indianocéaniques de s'épanouir, de s'exprimer et de transcrire leur culture sur pellicule et de la transmettre aux futures générations.

La dynamique des langues créoles dans l’espace plurilingue de l’océan Indien : réflexions écolinguistiques

Daniel VERONIQUE (Président du C.I.E.C., Université d’Aix-Marseille)

A la suite des travaux de S. Mufwene sur l’écologie des langues (Mufwene 2001, 2005, 2008), je souhaiterais aborder la dynamique des langues créoles dans l’espace des Mascareignes (Maurice, Réunion, Rodrigues) et des Seychelles. Je ne souhaite pas reprendre le débat historique et génétique sur les liens entre le créole de Bourbon, celui de l’Ile de France et des Seychelles, possessions françaises jusqu’au début du 19e siècle. Cependant, le fait même de l’existence d’une polémique en ce domaine à propos du « bourbonnais » ou du « Créole de l’Ile de France » comme protolangues, est riche d’enseignements divers (Véronique 2014). Il est plus intéressant sans doute pour comprendre la dynamique contemporaine dans et entre les différentes formations sociales contemporaines de l’océan Indien (Maurice, Rodrigues, Réunion et Seychelles), de rappeler a) l’attrition des langues serviles (Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, L’Inde) au long du 18e siècle ; la présence du malgache à Maurice et à La Réunion au 19e siècle – Larsson (2009) a pu parler de cette partie de l’océan Indien comme d’une mer malgache. b) l’arrivée renforcée des langues de l’Inde, dans le cadre de l’engagisme, et des dialectes chinois de la fin du 19e siècle.

Dans cette intervention, je tenterai de commenter trois dimensions écolinguistiques de la dynamique des langues créoles dans les trois formations sociales concernées :

  • l’institution des langues créoles – l’aménagement du statut des créoles dans les formations sociales de l’océan Indien ;
  • la grammatisation de ces langues et leur présence dans les systèmes éducatifs ;
  • les contacts des créoles et d’autres langues dans des environnements plurilingues.

J’essaierai de dégager ce que l’examen de ces faits apporte à une écolinguistique créole.

Convergences et divergences : 
étude comparative de quelques créoles et pidgins à base anglaise

Jean-Philippe WATBLED (Directeur du LCF, EA 4549, Université de La Réunion)

Dans le cadre de la thématique de la transmission, cette communication a pour objectif de montrer, par la méthode comparative, comment se construisent les langues de contact, en insistant sur la dimension cognitive.

Les données sont empruntées à des langues à base anglaise, principalement le créole jamaïcain (Atlantique), le krio de Sierra Leone (Afrique), le kriol australien, le bislama, le pidgin des îles Salomon et le tok pisin (Océanie).

L’intérêt de la comparaison est de montrer que la transmission n’est pas une relation « transitive directe » : l’hypothèse défendue est que ce sont en fait les données discursives qui sont transmises, et non les langues elles-mêmes, ces dernières étant en quelque sorte « fabriquées » par les sujets parlants.

Les processus cognitifs, en principe universels, expliquent les convergences, tandis que les conditions sociohistoriques et la situation linguistique initiale propres à chaque terrain expliquent les divergences.